Durant la semaine de Noël, alors que l’on croyait nos députés occupés par le débat sur le pass sanitaire, voilà que l’un d’eux fait parler de lui avec une proposition de loi sur le nom de famille. Une loi destinée à ouvrir à tout citoyen le libre choix entre celui du père, de la mère, ou des deux.
La transmission du patronyme va-t-elle recevoir son coup de grâce, après avoir été déjà bien fragilisée par la loi Gouzes, lancée en 2001, et dont j’avais alors dénoncé les risques d’aberrations au plan de son application pratique, en réussissant, avec l’aide de Christian Jacob, alors ministre de la Famille, à les éviter par l’instauration du double tiret, très lourd mais nécessaire, qui fut rapidement supprimé par incompréhension. Le projet avait germé un beau matin dans la tête d’un député Ignorant tout de la nature juridique du nom mais déplorant, pour n’avoir que des filles, que son nom – par ailleurs courant, et nullement menacé d’extinction – ne soit pas transmis à ses descendants. Le texte avait été voté à la va-vite, à main levée, par la poignée de députés présents dans un hémicycle aux trois quarts vide pressés de boucler ce soir-là la session parlementaire, pour rejoindre leur circonscription, où des élections les attendaient. Un des effets de la démocratie, en laquelle certains aiment à dénoncer à la fois le pire et le meilleur, même si cette loi n’a en réalité été que très faiblement appliquée…
Tout autre est aujourd’hui la situation, en ce que l’on n’a pas ici un projet de loi, initiative d’un élu, mais une proposition de loi, émanant du gouvernement. Sauf que son histoire, met dans la boucle un élu, en charge de la porter.
Cet élu, le député de l’Hérault Patrick Vignal, avait été approché par une de ses électrices, luttant en faveur des mères élevant seules leurs enfants et ne supportant pas les tracasseries auxquelles elles se voyaient confrontées, notamment en voyageant avec un enfant ne portant pas leur nom. Parallèlement, on lui signalait les cas – plus graves et délicats – d’enfants battus ou violés par leur père, dont le fait de porter le nom était très mal vécu. Sensible à ces situations, il avait d’abord, avec l’appui du ministère de la Justice, proposé une adaptation ponctuelle de la loi, avec un texte que le contexte sanitaire n’a pas permis de voter. Récemment, le garde des Sceaux l’avait relancé, en lui disant « cette loi, il faut l’élargir. Ensemble, nous allons aller plus loin ! ». Une nouvelle proposition avait été rédigée, ouvrant carrément ce libre choix à toute personne majeure, une fois dans sa vie.
Pourquoi cet élargissement ? Parce que le Ministère de la Justice est depuis quelques années inondé par des milliers de dossiers de demandes de changements de noms, une vieille procédure, qui s’était souvent révélée être la seule voie possible pour les personnes voulant se défaire du nom d’un père « négatif » et porter celui de leur mère. Une procédure coûteuse et surtout lourde et très longue, pour être destinée à éprouver la motivation du demandeur et d’évier de permettre de changer de nom comme de chemise. La décision de changer de nom n’est en effet nullement anodine, puisqu’il est à la fois un élément constitutif de l’identité et un instrument de police générale, en même temps qu’un élément de propriété à la fois individuel et familial.
Peut-on dès lors, comme on l’envisage, proposer à tout individu d’en changer par simple « déclaration CERFA » ? A-t-on bien tout pesé ? Connaît-on bien la nature juridique – ô combien complexe – du patronyme ? Mesure-t-on tout son poids dans le quotidien et la personnalité de chacun ? Autant d’éléments capitaux, que le député porteur, non juriste, peut ignorer, mais dont les personnels du ministère de la Justice semblent, de façon consternante, ne s’être guère embarrassés, laissant les acteurs du monde généalogique tenter d’apporter leur aide tant au niveau de la mise en application que pour plaider pour une procédure un rien plus lourde, afin d’éviter les décisions irréfléchies. Pensons par exemple au fils d’un couple algéro-français, se hâtant d’abandonner le patronyme paternel ressenti comme discriminant et qui, dans vingt ou trente ans, lorsque l’intégration sera achevée, vivra comme un profond mal-être cette distorsion entre identité administrative et identité vraie…
La volonté du gouvernement de faire adopter cette loi au plus vite est telle qu’elle le sera immanquablement. On peut dire qu’au point où la loi Gouzes l’a déjà malmené, le nom n’y échappera pas, et que le généalogiste, une fois de plus s’adaptera… Mais si cette loi doit passer, il serait mieux qu’elle soit a minima encadrée, afin que nos députés – démocratie oblige – qui ne peuvent maîtriser tous les domaines sur lesquels on les fait intervenir, du pass santiaire aux réformes du bac ou de l’armée, en passant par la loi bioéthique ou cette réforme du nom, puissent légiférer en connaissance de cause – à condition, bien sûr, d’être d’abord présents dans l’hémicycle…
Voir pour plus de détails, mon article dans le n° 258 de la Revue Française de Généalogie.